Combien faut-il être pour avoir accès au droit ?
Il y a 9 ans, mon fils Vincent a été dépisté sourd profond. À ce moment-là, les professionnels nous ont dit : « vous avez de la chance, votre fils est né après la loi de 2005, vous allez pouvoir faire des choix ».
Oui la loi de 2005 pour l'égalité des chances permet aux parents d'enfants sourds de faire un choix, celui d'une éducation et d'un parcours scolaire en français oral et écrit ou d'un parcours scolaire bilingue en LSF (langue des Signes Française) et français.
Après le choc violent du diagnostic, nous avons fait le choix d'une éducation et d'un parcours scolaire en LSF pour notre fils, parce que la LSF est une vraie langue et que nous souhaitons pour lui qu'il ait un plein accès au savoir et qu'il puisse prendre la parole aisément, aussi facilement qu'un enfant entendant le fait avec sa langue orale.
Après une année en intégration où nous avions été frappés par la souffrance de l'isolement qu'il pouvait subir lors de nombreux moment de temps de classe, il a ensuite effectué toute sa scolarité dans un parcours bilingue, LSF/Français écrit, dans une classe maternelle LSF à Champs Sur Marne, puis dans une classe élémentaire LSF de l’école Georges Valbon à Bobigny
Dans cette école monde, les enfants sourds ont pu apprendre dans leur langue et les autres enfants, les autres enseignants ont appris la LSF.
Cette classe en LSF était implantée dans une école multi langue où la LSF avait sa place.
Mais en juin cette classe ferme, faute d'effectif, c'est vrai, mais qui connaissait même son existence et ce qui s'y passait d’extraordinaire pour les élèves sourds ?
Vincent a eu une chance folle de vivre ses classes élémentaires là-bas.
Donc, les élèves sourds signeurs du 93, à la rentrée 2018, reprendront leur parcours d’exilés scolaires dans les départements voisins car la classe LSF de Bobigny fermera ses portes en juin 2018.
Vincent et ses camarades de la classe LSF de l'école Georges Valbon de Bobigny devaient aller dans le 77, dans le collège du parcours bilingue complet de Champs/Noisiel,
Le 2 mai, un message de l’inspection du 77 nous informe qu’elle suspend l'entrée des 3 élèves sourds de Bobigny dans le collège bilingue de Noisiel pour septembre 2018 pour un problème d'effectif. Noisiel a une forme ULIS, l'inspection du 77 ne veut que 13 collégiens sourds à Noisiel, donc pas de place pour les élèves du 93. Vincent et ses camarades de Bobigny ne pourront peut-être pas y être scolarisés !
Cela veut dire qu'à ce jour nos enfants n'ont plus de place en collège, plus d’avenir.
Comment cela est-il possible en 2018 en France ?
A un moment où on entend beaucoup parler de réussite, d’égalité des chances, d’inclusion, nos enfants sont exclus du système scolaire et condamnés au vide éducatif ?
Comment peut-on accepter cela ?
Je vous appelle à l’aide, ne laissez pas faire cela, aucun enfant de ce pays ne doit être exclu du droit à l’éducation.
Nous ne sommes pas seuls à vivre cette profonde injustice. Des parents du 94, du Calvados, de Perpignan, de Marseille, de l'Aube, de l'Aude, de Charente, de Dordogne, de Loire-Atlantique, de Vendée, et de bien d'autres départements vivent la même situation.
La loi de 2005 donne théoriquement aux parents d'enfants sourds le choix d'une éducation et d'un parcours scolaire en LSF mais concrètement il n'en est rien.
En 2018, la possibilité de mettre en œuvre ce droit au choix dépend du hasard, hasard du lieu de vie, car la disparité régionale est énorme, hasard des rencontres, depuis 2014 un dépistage néonatal de la surdité est proposé mais rien n'a été mis en place pour l'accueil et l’accompagnement des nouvelles familles autre que celui d'un monde médical centrée sur les profits et la déficience.
Aujourd'hui les enfants sourds signeurs du 93 sont sans solution, demain qui d'autre ?
Combien doit-il y avoir d'enfants sourds dans un département pour qu'ils aient accès aux droits fondamentaux des enfants de ce pays ?
Dans la constitution où est-il écrit que pour avoir droit à la loi un nombre minimum ou maximum de citoyens est requis ?
Oui les élèves sourds sont peu nombreux, oui les élèves sourds dont la langue est la LSF sont encore moins nombreux, doivent-ils pour autant être sans avenir et sans espoirs ?
Est-ce le nombre qui fait le droit ?
Non, pour moi chaque enfant de ce pays doit avoir accès aux droits fondamentaux dont celui d'un réel accès à l'éducation.