Collège ou pas collège ??
Ce soir je ne surveille pas les devoirs de Vincent.
Il est en CM1, à Bobigny dans une classe bilingue, la langue d’enseignement est la LSF, toute la journée, pour toutes les matières scolaires.
C’est à Bobigny.
Si le STIF le permettait il pourrait même aller à l’étude ou participer au temps péri scolaire car la mairie à embauché des animateurs sourds pour ces temps là.
Mais ce soir je ne lui ferai pas faire ses devoirs.
A quoi bon ?
Dans deux ans il doit entrer en 6é, mais où ?
Nous habitons dans le 93, pas de collège qui accueille des sourds signants dans notre département, il n’y en a pas non plus à Paris, ni dans le 94, ni dans le 91, ni dans le 78.
Alors où aller ? Sa scolarité va s’arrêter en CM2 ?
Après 4 ans de bonheur comme élève de la classe bilingue de l’école Georges Valbon, tout va s’arrêter pour lui et pour ses camarades de classe sourds aussi, pas d’espoir, pas d’avenir ?
L’avenir qu’on leur propose ce sont des études aux rabais dans des établissements gérés par la santé et c’est tout ?,
Et oui pour les sourds, ce sont les médecins et le paramédical qui prétend s’occuper d’éducation, programme au rabais, études au rabais, diplômes au rabais.
Et une fois obtenus des diplômes de seconde zone, c’est une vie d’AAH, l’allocation d’adulte handicapé, c’est cela que les rectorats d’île de France proposent à nos enfants sourds ?
NON, nous n'acceptons pas cela pour Vincent et lui ne l'accepte pas non plus.
Alors ce soir, nous allons jouer, discuter, prendre du temps tous les trois pour se donner la force d’entamer ce nouveau parcours du combattant.
Rire de la bêtise
Quel rire ce soir, Vincent et moi, à table. Et pourquoi riions nous tous les deux ? Nous imaginions une scène : Vincent allant porter plainte au commissariat de Montreuil pour dénoncer la bêtise d'une personne.
Ces rires cachent pourtant l'amertume et la déception.
Il rêvait d'une activité sportive cette année mais le président du club a refusé qu'il puisse s'y inscrire un jour , en mode :
lui : "il est sourd ? mais sourd sourd ? ah ! Donc il n'entend pas ?"
moi : "non mais ne vous inquiétez pas quelqu'un sera avec lui au début pour traduire "
lui : "non non impossible, c'est hors de question qu'il y ai quelqu'un en plus ".
Et bien il va se le garder son club cette personne si ouverte et accueillante !
Nous étions en colère tous les deux et puis nous avons ri de sa bêtise.
Vincent voulait porter plainte pour bêtise, zut, ce n'est pas dans les lois, c'est bien dommage cela !
été 2016
Les vacances sont terminées, l’école a repris, encore une année de gagnée sur le sort, encore une année de chance extrême dans la classe bilingue de Bobigny.
Comme je ne sais pas où Vincent ira au collège, je savoure cette rentrée si ordinaire.
Pas de collège bilingue en Seine-Saint-Denis, pas non plus à Paris ! Deviendrons-nous, nous aussi des exilés scolaires ?
Cette année commence une nouvelle bataille pour son droit d’être un petit citoyen de ce pays, pour son droit à l’éducation.
Ce soir, les images, les émotions de ces vacances remontent à ma mémoire, elles me donnent de la force et de la confiance en nous tous et nous toutes.
Ces vacances c’est d’abord, une fête dans un jardin extraordinaire, entourés d’êtres magnifiquement humains, un moment d’air pur pour nos cœurs et nos cerveaux. Cette assemblée bigarrées et hors normes, le partage d’un repas, d’une après-midi avec des personnes devenues chères à nos cœurs, a été pour nous une belle bouffée d’oxygène !
Ensuite, cette Bretagne de Cornouaille, ses pierres, ses landes, ses dunes, son océan, cela nous a procuré des sensations fortes qui nous ont rendu l’énergie perdu dans la tempête de l’année qui venait de s’écouler.
Et enfin Douarnenez, le Chapiteau du festival, le bouillonnement des idées, des luttes identiques bien que diverses, les amis, la LSF, Fabrice, Fred, Vincent le grand, Marik, Regine, Delphine, Laure, Sonia, Julia, Isabelle, Levent, chou, Françoise, Danielle et tous les autres.
Un pique nique dans un lieu hors du temps, des animaux, des paroles, des signes, et Vincent le petit qui écoute, écoute tellement attentivement !
Vincent était si heureux !
Il a des instants, comme ceux passés cet été où le temps s’arrête, à la fois hors du temps mais pourtant tellement dans la réalité !
Nos revendications aux unes, aux uns et aux autres semblent simples, le droit d’être, d’être tel qu’on est, tel qu’on est né, ou tel qu’on se sent être. Nous revendiquons une langue, une culture, une marnière d’être au monde, mais cette bataille pour la vie debout, pour la dignité, pour notre humanité, semble déstabiliser totalement les normes établies. Cela se sent aux résistances que nous rencontrons, les mêmes en fait quelques soient nos luttes. Ces puissants aux pieds d’argiles aimeraient tant que nous rentrions dans le rang, et bien non, nous ne lacherons rien !
Et le retour, Vincent a de grosses larmes sur les joues, c’était si bien sur la place du chapiteau, sa langue était partout, ses amis étaient là, les petit et les grands, les sourds et les entendants.
Une semaine après, ces jours en Pays de Douarn sont encore dans nos têtes et dans nos cœurs ? Vincent est toujours un peu triste. Nous, nous avons repris des forces et fait le plein d’arguments et de moyens de mener nos batailles. Nous avons retrouvél’énergie de tenir bon dans nos convictions et nos revendications. Mais nos cœurs sont lourds, nos amis nous manquent.
Cela a donc été un moment extraordinaire que nous n’oublierons pas de si tôt, que ce soit Vincent ou nous !