Comment nous sommes devenus des parents d'enfant sourd
Le 18 octobre 2006 un petit soleil est né, Vincent, les yeux grands ouverts à l’affût du moindre mouvement. Nous étions heureux et émerveillés par son regard déjà si profond, si petit, et il était si sage !
Les mois ont passé, toujours les yeux grands ouverts, toujours sage.
Quand il a eu 6 mois j’ai repris mon travail et il a été gardé par une assistante maternelle. Notre petit poussin était très précoce, debout très tôt mais pas de premiers mots, du babillage étrange, des sons qui venaient souvent de la gorge. Les enfants du parc en bas de la maison nous disaient : « Elle est belle la chanson de Vincent, je n’en ai jamais entendu de pareille.»
Chez l’assistante maternelle, la situation s’est dégradée peu à peu, elle se plaignait tout le temps : « Il ne m’écoute pas ! C’est une forte tête ! ».
Nous avons commencé à nous poser des questions lorsqu’il a eu 13 mois, toujours pas de mot et plus de babillage, plus rien que des sons de gorges toujours aussi étranges. Nous demandions l’avis de l’assistante maternelle qui persistait « c’est une forte tête, il entend très bien mais il n’écoute rien ».
Premier rendez-vous ORL, en ville, en février 2008, Vincent avait 16 mois, « Tout Va Bien », ah bon ! De plus en plus étrange ! Il nous était impossible de nous satisfaire de cette affirmation ! Nous n’étions pas convaincus, pourquoi ? Je ne sais pas, le sentiment de plus en plus fort que Vincent était différent des autres bébés.
Il était tellement malin mais tellement muet !
Alors en mai nous avons décidé de prendre rendez-vous dans le service ORL d’un grand hôpital parisien, 2è audiogramme :
Vincent est sur mes genoux, il regarde l’ORL droit dans les yeux et à chaque son, sans quitter la dame des yeux, il tourne la tête dans tous les sens pour s’arrêter sur le bon côté. Diagnostic : légère perte auditive mais rien de grave « Tout Va Bien, il entend bien ».
Consternation !
L’assistante maternelle aurait-elle raison ? Notre enfant est une forte tête qui n’écoute rien ? Mais la manière dont le test s'est passé m’a laissé perplexe !
Sur les conseils de notre médecin de famille, nous avons pris un nouveau rendez-vous chez un ORL mais dans un autre hôpital parisien, après les vacances en septembre.
Ce jour-là j’ai expliqué au chef de service de cet hôpital que Vincent ne réagissait pas aux bruits, même forts, qu’il n’a même pas réagi lors du feu d’artifice du 14 juillet et qu’il ne parlait pas. Le grand spécialiste m’a expliqué en souriant :
« Ce n’est pas parce qu’il est sourd, juste parce que ces bruits-là ne l’intéressent pas, et en plus il n’a même pas 2 ans, il a le temps pour le langage, revenez quand même dans 6 mois, on fera le point, et puis il est sociable et ouvert aux autres, donc il ne peut pas être sourd. » !
Nous étions découragés ! Étions-nous fous ? Décidément, la nourrice avait peut-être raison, Vincent était « méchant et refusait d’écouter » !
Mais on ne pouvait pas y croire ! Vincent c’est un soleil, un sourire, un éclat de rire, nous étions abattus !
Fin novembre 2008, Vincent a 2 ans et il entre en crèche, nous taisons nos soupçons. 15 jours après son arrivée nous sommes pris à part par la puéricultrice qui nous demande s’il est suivi pour ses problèmes d’audition . . . Enfin ! Enfin quelqu’un qui a constaté les mêmes choses que nous ! J’ai pleuré longtemps, Vincent ne comprenait pas, la puéricultrice non plus ! Nous lui avons expliqué les ORL et leurs diagnostics, elle nous a assuré de son soutien et nous a proposé de nous appuyer dans notre démarche.
En mars 2009, soit 14 mois après la première visite chez un ORL, nous avons eu un nouveau rendez-vous à l’hôpital, celui du grand professeur qui à vue d’œil savait que Vincent n’était pas sourd.
Cette fois nous sommes plus fermes, nous expliquons qu’il compense beaucoup, qu’il est très observateur et extrêmement malin. L’ORL nous entend et la courbe de l’audiogramme descend très bas. Elle constate avec nous qu’il y a un problème et nous donne rendez-vous deux mois plus tard pour un test très efficace, sous anesthésie.
En mai 2009, un matin tôt, nous partons tous les 3 pour ce grand hôpital parisien.
La salle d’attente est pleine d'enfants, nous sommes très inquiets.
Nous entrons dans une salle sombre, l’ORL recommence divers tests, oui, il y a un problème.
Vincent grince des dents, il a peur.
Une infirmière donne un sirop à Vincent pour le calmer et il passe un PEA..
Vincent est allongé, des électrodes posées sur son front, il ne dort pas mais il est calme.
l’ORL revient plusieurs fois dans la salle, vérifie les électrodes et repart en bougonnant des mots incompréhensibles.
Fin de l’examen, il est 14h30, nous avons rhabillé Vincent qui est encore somnolant, nous sommes devant le bureau d’accueil du service ORL, la salle est vide maintenant et résonne de chaque bruit.
L’ORL nous tend le carnet de santé « Ne passez pas à la caisse, maintenant il est pris à 100%, », devant notre étonnement elle ajoute : « surdité profonde, c’est pour la vie, appareillage et orthophonie, revenez dans 15 jours on vous expliquera »…
Et nous sommes là, Vincent dans mes bras comme un petit ange fragile, cette salle vide me parait glaciale, les mots ont sonné fort et clair dans ce silence, il fait sombre, nous sommes abasourdis, démolis, anéantis.
Pourtant, nous savions qu’il y avait un problème, 16 mois passés de rendez-vous en rendez-vous pour ce diagnostic qui claque comme un couperet dans ce hall trop vide. Il raisonne encore dans nos têtes « surdité profonde . . . on se revoit dans 15 jours, au revoir monsieur madame » !
Nous sommes rentrés chez nous, sidérés et en larmes. Dans le bus et dans le métro, derrière cette poussette où Vincent dormait paisiblement, deux parents hagards pleuraient de toute leur âme.
Tout, autour, paraissait transparent !
Un seul mot nous obsédait, SOURD
Mais moi je suis pianiste, ma famille est musicienne, j’aime les sons purs, j’aime apprendre aux enfants à entendre avec leur cœur la pureté parfaite de certains sons !
Ce n’est pas possible !
SOURD !
Notre lien familial depuis toujours est la musique !
J’ai eu l’impression de tomber dans un gouffre de question sans réponses, le sol se dérobait sous mes pieds, comme si tout ce que j’étais depuis 45 ans disparaissait d’un coup, d’un mot, SOURD.
Vincent a une sœur et un frère beaucoup plus grands que lui, lorsqu’ils étaient bébés, Françoise Dolto vivait encore, nous habitions dans le 15è arrondissement de Paris et nous allions très souvent à la Maison Verte, et je peux dire que Dolto a beaucoup appris à la toute jeune maman que j’étais.
Pour moi un bébé est une personne qui doit être respecté en tant que tel, il a le droit à des paroles qui font sens au plus tôt. Donc j’ai toujours beaucoup parlé avec mes enfants, je leur lisais des histoires, la communication avait une place majeure entre nous.
J’ai fait la même chose avec Vincent, et tout d’un une question obsédante : maintenant que c’était sûr, diagnostiqué, il est sourd, comment vais-je faire pour communiquer avec lui ?
J’étais pétrifié !
Et personne à qui demander, aucun sourd autour de nous, juste un rendez-vous médical 15 jours plus tard.
À ce moment-là, ce rendez-vous me semblait irréel, tout autour de nous nous semblait irréel ! Nous n’avions pas besoin d’un médecin, nous avions besoin de comprendre, de connaître, de recouvrer la parole que les mots du médecin dans le hall de l’hôpital avaient tarie. La surdité de Vincent nous a rendue muets et sidérés.
C’était la panique, comment allions-nous lui dire tout ce qu’on dit à son bébé, lui expliquer le monde autour de lui, le consoler de ses gros chagrins d’enfant, lui transmettre nos valeurs, nos passions, comment le rassurer, comment lui apprendre tout ce que doit savoir un petit de 2 ans, comment va-t-il apprendre à lire et à écrire ? Comment ? Comment ?
Et pourquoi nous ? Qu’avons-nous fait pour que cela nous arrive ?
Premier réflexe, Internet, des nuits entières à tout lire sur la surdité. Mais si cela donne des informations, cela noie et accentue l’angoisse, beaucoup de possibilités et de choix mais comment les faire ces choix alors qu’on ne sait rien ?
Très vite des mots, LSF, implant, LPC, bilingue, oralisation. . .
Et puis des sigles, CAMPS, SSEFIS, AEH, MDPH … des expressions barbares vides de sens !
Très vite des défenseurs de l’un ou de l’autre, mais nous, au milieu de tout cela ! Quel choix pour lui ? Quelles conséquences d’un mauvais choix ?
Au secours !
Premières réflexions, et une idée qui m‘obsède, j’aurais dû le savoir !
Un souvenir :
En juillet 2008, nous sommes allé à un anniversaire, il y avait de la musique et des spots lumineux qui accompagnaient les basses. Vincent dansait et s’amusait beaucoup. Décembre 2008, nous avons acheté des guirlandes lumineuses multicolores pour le sapin, heureux nous les allumons pour Vincent. Il est émerveillé et se met à danser, comme le jour de l’anniversaire ! Ce jour-là je me suis assise, comme sous l’effet d’un coup de poing au ventre, je suis restée longtemps à l’observer et l’importance de la surdité m’a éclaté en pleine figure, mais l’ORL avait dit tout va bien ! Alors je ne savais plus quoi croire ou que penser, mais ce jour de décembre là, je sentais dans mon cœur de maman que mon fils était différent !
Après le diagnostic, six semaines de folies se sont enchaînées les unes aux autres !
Et Vincent ?
Lui ne comprenait sans doute rien, tout d’un coup nous ne parlions plus autant, nous pleurions beaucoup, nous lisions énormément, nous étions devenus muets et tristes, il a été perturbé. Son comportement à la crèche a changé, les assistantes maternelles nous ont alertés mais nous étions prisonniers de notre douleur et de notre sentiment d’incompétence
En mai 2009, France 5 venait de diffuser une émission. Tous nos amis s’y étaient intéressés et nous en ont parlé, nous l’avions téléchargé, mais au départ il nous était impossible de la regarder, la simple évocation du mot sourd nous plongeait dans un torrent de larmes !
« Sourd et Malentendu » voilà le titre de cette émission qui a changé notre vie du tout au tout !
Là, une ravissante jeune femme sourde racontait son enfance et ce choc que ses parents avaient vécu, tout comme nous. Elle relatait la rupture entre elle et eux. Cela a fait l’effet pour nous d’un électrochoc, d’une bombe intérieure.
Le soir où nous avons trouvé le courage de regarder ce téléfilm, quand il a été fini, je suis allé voir Vincent qui dormait pour lui murmurer sur la joue combien je l’aimais, pour pleurer près de lui les larmes qui me restaient encore.
Merveille de voir le visage de Vincent la première fois que l’une de mes amies signantes est venue avec moi le chercher à la crèche. Il ne la connaissait pas, il l'a regardé, son visage s’est illuminé et il lui a sauté dans les bras et fait un énorme câlin !
Je n’en croyais pas mes yeux, il avait compris, c’était sa langue, enfin quelqu’un lui parlait pour la première fois !
Mais voilà, la langue des Signes est une langue et nous, nous ne la connaissions pas ! Comment faire !
Les stages, oui mais quand ? Nous travaillons et nous avons déjà utilisé nos jours d’absence pour les examens médicaux !
Et comment les financer ?
C’était terriblement frustrant, la solution était là toute proche, mais nous semblait inaccessible !
Et là, aucun accompagnement de professionnels qui rassurent et expliquent.
Le rendez-vous avec l'ORL a été très technique, nous découvrons la liste des examens complémentaires, au cas où il y aurait un handicap associé ! Choc !
L’ORL nous dit « Vincent doit maintenant être calme et sage, car un enfant sourd cela doit obéir s’il veut s’en sortir dans la vie … », Nouveau choc !
Des nouveaux termes, des nouvelles notions, beaucoup d’informations et de lectures, nous sommes noyés !
Comment s’y retrouver ?
Ordonnance pour les appareillages, dossier Handicap, diverses ordonnances. . . HANDICAP …
Mot terrible ! Insupportable ! Je regarde Vincent jouer et vivre, heureux et souriant, ce mot ne lui va pas du tout, ce n’est pas vrai, il se débrouille, il est intelligent, malin et inventif, je refuse qu’on lui colle un H de Handicap. Nous, face à lui, nous sommes handicapés, car nous sommes incapables de savoir comment communiquer mais lui il est juste sourd, lui il est la vie, il est notre soleil.
Nous détestons ce H majuscule que tous ces professionnels veulent lui graver sur le front
On nous donne un dossier vert de la MDPH, l’horreur, car là, benoîtement, on vous demande le projet de vie de l’enfant ! ! ! ! !
Je regarde Vincent, du haut de ses 32 mois : son projet de vie . . . Comment répondre à cela !
Après ce premier rendez-vous médical, fin mai, un tourbillon se déclenche, de rendez-vous en rendez-vous, le mois de juin défile.
Nouveau choc, diagnostic d’une coarctation de l’aorte par une cardiologue terrifiée par la surdité.
Juin 2009, nous arrivons chez la cardiologue, près de la place de la Nation à Paris, un petit cabinet sombre, j'étais avec maman, inutile d'être tous là pour cette formalité. Nous étions sereines, si nous avions des inquiétudes au sujet de l'audition de Vincent, rien ne nous avait préparé à ce qui allait se passer ce jour-là.
La cardiologue nous demande de poser Vincent sur la table d'examen, nous demande s'il est sourd, nous demande à nouveau s'il est sourd et au final elle ne le regarde plus, le mettant en panique.
Elle commence l’électrocardiogramme et se met à bougonner « cela ne va pas », elle recommence, sans nous parler, elle s'énerve mais ne nous dit rien.
Elle poursuit avec l'échographie et là elle part brusquement dans une autre pièce, revient, recommence l'échographie, nous avons l'impression qu’elle panique, elle nous affole, « que se passe-t-il ? », elle ne nous répond pas. Vincent hurle, il a très peur.
Elle finit par nous dire, « si on l'opère quand 15 jours cela vous va ? »
Coarctation sévère de l'aorte.
La surdité nous savons ce que c'est mais le cœur ! Et Coarctation, qu'est-ce que cela veut dire ?
Nous sortons sans même pleurer, car nous sommes toutes les deux KO debout !
Le manque de respect et la violence de cette annonce ont provoqué une révolte chez moi, je ne voulais pas qu'on l'opère, il a fallu 2 mois et la patience de mon médecin généraliste pour que je finisse par accepter. Automne 2009, Vincent est opéré à Necker, loin de cette première cardiologue maltraitante.
Mais ce monde médical n'est-il pas juste un enfer ?
Nous voilà fin juin, l’hôpital nous a dirigé vers un CAMSP surdité, nous ne savons pas ce que c’est exactement, on nous a dit que nous y serions pris en charge, soit !
Vincent va avoir 3 ans en octobre, il doit donc rentrer à l’école, mais où ? A cette époque de l’année, seule possibilité, l’école du quartier.
Encore des rendez-vous pour avoir accès à ce choix qui nous est imposé par la date.
Là, un médecin scolaire qui nous explique qu’appareillage et cantine sont incompatibles, nous apprendrons, bien plus tard, que c’est inexact mais nous débarquons dans cet univers alors on peut nous raconter n’importe quoi et nous acquiesçons !
Ce nouveau monde est celui d’un combat permanent. Cette mauvaise information doit certainement correspondre à une ignorance de ce médecin scolaire, mais il faudra une bataille pour cela aussi, il a fallu apporter la preuve que Vincent peut aller à la cantine !
Début juillet, premier rendez-vous au CAMSP, le personnel est tout sourire, nous écoute, nous dit comprendre notre besoin de LSF et l’urgence de donner une langue à notre enfant, mais ce sont les vacances scolaires, donc la prise en charge ne débutera qu’en septembre (4 mois après le PEA . . .), solitude, encore solitude !
Fin juillet, rendez-vous chez la psychologue de l’hôpital qui nous explique que nous devons faire le deuil de notre enfant rêvé et qu’avec la surdité il vaut mieux voir l’avenir de Vincent au jour le jour, sans faire de projet à long terme, que quoi qu’il en soit il aura du retard dans les apprentissages !
Cet enfer s’arrêtera-t-il ?
Tous ces professionnels nous ont-ils aidé ? NON. Seule aide réelle, le personnel de la crèche où était Vincent qui n’est pas formé à la surdité mais avec qui nous avançons main dans la main et pas à pas.
Alors comment reprendre pied ?
Une idée directrice : suivre notre instinct de parents et aussi reprendre notre place, réfléchir par nous-mêmes à ce que nous voulons pour notre enfant
Dès ce mois de juillet 2009, nous mettons en place un cahier de vie en image, en photos où nous avons placé tous les lieux familiers les photos de tous les membres de la famille, des planches qui expliquent en image où nous allons aller, les événements, les fêtes et qui ensuite constituent un reportage de ces moments. Une vraie avancée, nous pouvons enfin aider Vincent à anticiper, et en nous montrant les photos à nous exprimer ses envies, « pas la crèche, je veux aller faire du poney ».
Nous nous plongeons dans tous les manuels de LSF que nous trouvons, nous achetons tout, et maladroitement nous essayons de parler avec Vincent.
Mais enfin du positif, de la vie après deux mois complets de chute vertigineuse.
Et puis, des moments décisifs, presque magiques, des rencontres avec des adultes sourds !
Quoi un sourd peut conduire ? Il peut avoir un travail, une maison, une famille, un avenir ?
Face aux horreurs que nous annonçaient tous ces spécialistes de l’audition, c’est la porte d’un nouveau monde qui s’ouvre devant nous.
Nous ne sommes plus face à un mur des lamentations, mais nous entrons dans un univers d’une richesse incroyable !
Leurs témoignages, leurs conseils, cela a été essentiel pour pouvoir nous projeter vers l’avenir !
Cela nous a été essentiel pour réaliser le quotidien d’un enfant sourd et les frustrations que peuvent engendrer des « détails » de la vie quotidienne, provoquées par nos maladresses.
Ce mois d’août 2009 a été l’occasion de nous retrouver tous les trois. Pendant ces vacances, notre obsession : communiquer avec lui, par tous les moyens, de toutes les manières possibles à son âge. L’appareil photo devient le compagnon de tous les instants, les instants de partage avec notre petit prince se multiplient et s’enrichissent, mais ce ne sont que de maladroites tentatives, guidées par nos amies qui pratiquent la LSF.
Nous restons frustrés de nos maladresses et nous comprenons qu’il va falloir nous battre pour ses droits, nous battre pour faire valoir notre choix d’éducation en langue des signes
Necker, un service feutré, des enfants cardiaques, un personnel calme et attentif, au petit soin, un accompagnement merveilleux. Vincent part en salle d’opération. La nuit tombe, on m’appelle en salle de réveil, le personnel est troublé par la surdité, je rentre après avoir revêtu le costume de protection bleu. Vincent est étendu sur ce lit, des tuyaux relient son petit corps très pâle à tout un tas de machines, dans sa poitrine son cœur qui vient d’être relancé bat très fort, il soulève la peau par à-coup, Je m’approche de son visage si blanc et je caresse sa joue de mes lèvres, ses yeux s’ouvrent, il est réveillé de cette lourde opération. Je n’oublierais jamais cet instant, l’image de son corps inerte et pâle, les mouvements de sa poitrine sous les coups de ce cœur réveillé ! Pas de LSF à Necker, mais malgré tout un personnel attentif qui nous autorise une présence plus soutenue que celle des autres parents.
Sortie de l’hôpital, la vie reprend.
Le drame de la surdité, s’il y en a un, c’est la rupture familiale, rupture avec les proches, soit parce qu’ils ont peur, soit parce qu’ils n’ont pas ou ne veulent pas avoir accès à la LSF.
Septembre 2010, il est entré en classe bilingue à Champs sur Marne (77), au contact d’adultes sourds et d’enfants sourds de son âge.
Il s’est fait des copains, et une nouvelle famille, celle des sourds.
Ce n’a pas été facile, il est resté 3 ans et demi seul sourd de son univers, développant son propre mode de communication avec peu d’accès à une langue, mais il a rattrapé le temps, tout doucement il a récupéré le retard !
Comme tous les parents, notre vie est rythmée par les grandes étapes de la vie de notre enfant, mais peut-être pas réellement comme tous les parents.
Le dépistage de la surdité, puis de sa cardiopathie nous ont fait entrer brutalement dans un autre monde, lui comme nous.
Nos vies mises entre parenthèse pour des combats rudes et pourtant justes pour obtenir l'essentiel, faire respecter notre choix éducatif, obtenir une AVS, puis, trouver une AVS qui maîtrise la LSF, apprendre la LSF, trouver une classe bilingue, se battre pour un animateur signant au centre de loisirs. Nos soirées étaient toutes consacrées à discuter, à échanger avec d'autres, à chercher de l'information, à rédiger des courriers, et d'autres courriers, des recommandés, des demandes de recours, des plaintes. Nos week-ends étaient pleins de sorties à la rencontre de la culture sourde, de la communauté sourde, des contes, des fêtes, des pièces de théâtre bilingues, des week-ends parents, des festivals, des congrès, des forums, des universités d'été.
Nous sommes entrés dans un tourbillon.
Nos vies se sont remplies de larmes de colère face aux manques d'accessibilité pour la scolarité, pour les activités périscolaires, pour la culture, pour les loisirs de notre petit prince.
Ils ont été nombreux les gros moments de déprime, parce que personne n'entendait notre désespoir, parce que pas d'aide pour apprendre la LSF rapidement et accompagner notre enfant dans l'entrée dans une langue, parce qu’il fallait pousser des murs qui semblaient infranchissables pour ses droits, parce qu'il fallait « gravir des Everest en tong » pour tout !
Nos vies se sont remplies de rage à l’extérieur alors que la maison devenait bilingue.
Les années ont passé, je ne voulais que penser au combat pour le droit à une éducation et à un parcours scolaire en LSF, agir, avancer, se battre, et voir les lignes bouger, même un peu.
Février 2019, Vincent est maintenant pré adolescent, il a beaucoup grandi, ce qu'on avait mis de côté, dans un tout petit coin de notre tête arrive, problème de sa crosse aortique, forte tension à l'effort, cette fois nous sommes réellement trois à y faire face. Je me doutais de ce dernier diagnostic, je voyais bien que le corps de Vincent ne réagissait pas bien dans certaines circonstances, j'espérais.
Et là, contre quoi me battre ? Nous ne pouvons qu'avancer et espérer, vivre l'instant. Nous avons tellement de mal à nous projeter dans l'avenir !
Et Vincent est en colère, tellement en colère et nous, nous sommes tellement désemparées !
Depuis 12 ans, nos vies ont été rythmées par ces annonces, froides, violentes rarement bienveillantes.
L'annonce d'une mauvaise nouvelle n'est certainement jamais facile mais y mettre de la bienveillance permet aux personnes d'avancer et de ne pas garder une blessure collatérale à vie comme ce fut le cas pour nous depuis que nous avons rencontré cette cardiologue de la place de la Nation !
Et que dire de ce médecin de la PMI de Cap Santé à Montreuil, qui suivait Vincent depuis ses tous premiers mois et qui n'avait rien vu. Elle se moquait de mes doutes sur l'audition de Vincent et elle est passée à côté de la coarctation, de l'absence de pouls fémoral.
Pour elle, comme pour l’éminent ORL de Trousseau, pas d'annonce, tout va bien, mais à ne pas regarder où ils le devaient, nous avons frôlé la catastrophe définitive pour l'une et avons accumulé les retards dans la prise en charge !