Overblog
Editer la page Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Le blog de catherine Vella

Des parents qui entrent en resistance

Notre quotidien c’est résistance !

Dès l’annonce de la surdité ou presque nous avons été soumis aux pressions multiples.

Une opposition brutale, souvent :

-          Celle des médecins ORL qui avait une vision de notre enfant, celle d’une oreille cassée à réparer à tout prix. Ces médecins qui oublient qu’un enfant sourd n’est pas malade, il est juste sourd et il l’est depuis qu’il est né, donc rien ne lui manque. Ceux-là veulent nous vendre leur super appareillage, interne, il me font plus penser à des commerciaux qu’à des médecins. A une maman qui répondait que son époux était contre l’implant cochléaire pour son fils, j’ai tout de même entendu un médecin répondre :  « faites le implanter, votre mari on s’en fiche, il s’y fera » !

-          Celle de l’entourage, il faut le réparer, il faut qu’il parle, il faut qu’il entende, bref, il ne faut pas qu’il soit sourd

Mais si l’opposition cela peut être brutal, ce n’est pas la plus difficile à vivre, une bonne colère et tout est balayé, Ce médecin qui insiste pour que Vincent soit implanté, désagréable mais facile à contrer. Ces responsables de l’éducation nationale qui refusent d’accepter que la LSF soit la langue d’apprentissage des enfants, très énervant mais on peut combattre.

Non, ce qui est compliqué et difficile à vivre ce sont ces petits rien du quotidien !

Choisir une éducation en langue des signes pour son enfant sourd est un droit écrit dans les livres de lois, mais pas dans les mentalités.

Moi, et bien d’autres parents avec moi, nous croyons qu’un enfant sourd peut être un citoyen à part entière de la nation France tout en ayant pour première langue la LSF, qu’il peut tout apprendre et tout comprendre grâce à la LSF.

Nous pensons qu’un enfant sourd signeur peut parfaitement suivre toute sa scolarité en LSF et obtenir des diplômes avec l’apprentissage d’une langue seconde, le français écrit.

C’est notre conviction mais aussi l’observation des jeunes qui ont fréquenté les classes en langue des signes de notre pays depuis 1984, date de création de la première de ces classes à Chalons, puis à Poitiers et Toulouse. 

Nous pensons aussi que les centres de loisirs de quartier pourraient être un lieu privilégié d’échange et de partage avec les enfants entendants, sans les pressions liées aux apprentissages scolaires, juste dans le plaisir du jeu.

 Nous pensons que l’éducation et les apprentissages se passent aussi hors de l’école et du temps scolaire, à la maison, dans la famille, à condition que nous partagions la même langue de communication.

 

Ce sont nos convictions fortes, et pour notre famille, le choix éducatif que nous avons fait pour Vincent.

On pourrait penser, « bien, c’est leur choix, respectons-le », mais non, cette société a fabriqué des codes et des normes qui ont modelé l’opinion publique et nos choix y dérogent !

Au quotidien, l’opposition insidieuse pèse sur nos vies.

Là, dans un bus, cette dame qui voit que je signe avec Vincent sans lui parler et qui pense utile de me donner très gentiment des leçons d’éducation …

Là ces gens, partout, qui n’ont qu’une question en bouche, « mais, il parlera quand » ? Ou « ah il émet des sons avec sa gorge, rassurez-vous, vous verrez, un jour il parlera ! », car pour eux je dois nécessairement être inquiète et attendre fébrilement le jour où Vincent prononcera sa première phrase … Pourtant 1cmincent parle, il est même très bavard, il raconte des tas d’histoires avec ses mains qui virevoltent dans l’air

Ici encore, face à un caprice de Vincent, cette personne si gentille, qui a cru bien de me dire « non, ne vous fâchez pas, les enfants « comme cela » il ne faut pas les contrarier » …

Ou ce directeur de centre de loisirs, plein de bonnes intentions qui achète du matériel pédagogique pour les enfants sourds (??) parce que « ces enfants-là ont besoin d’être aidé à trouver des repères dans le temps et dans l’espace » …

Ou, le même directeur qui vous explique que l’implant ça à l’air vraiment bien parce que c’est la seule manière d’être vraiment bilingue !

Se mettre en colère ?

Non, ce sont toutes de bonnes intentions, vous savez, celles dont l’enfer est pavé !

Donc pas de colère salvatrice, pas de cri qui permet d’évacuer le stress, juste une grande fatigue ! 

J’aimerais leur répondre

- Vincent parle, c’est juste que vous ne comprenez pas sa langue !

- Je me moque totalement de savoir si mon fils oralisera un jour !

- C’est un enfant normal qui doit avoir les mêmes droits mais aussi les mêmes devoirs que tous les enfants de ce pays. Les règles sont les mêmes !

- Pour comprendre le déroulement d’une journée, il faut juste quelqu’un qui le lui explique en LSF, pas besoin d’acheter je ne sais quel matériel pédagogique !

C’est comme une balance, sur un plateau il y a Vincent, son développement, son épanouissement, sa manière de grandir, ses curiosités, ses découvertes, un quotidien des plus normal, et beaucoup d’amour autour.  

Sur l’autre plateau de la balance il y a toutes ces petites blessures, tous ces regards qui ne comprennent pas et n’acceptent pas ou mal ce qui est différent, hors de la norme de ce qu’il est bon de penser !

C’est comme entrer en résistance, lutter contre le vent, contre un courant qui assimile les sourds à des êtres malades, incompétents et voudrait que nous implantions Vincent pour qu’il parle absolument, comme seul salut réel !  

Nous regardons Vincent et notre choix se renforce, devient de plus en plus solide au fur et à mesure que nous le voyons grandir. Alors nous n’avons qu’une seule solution, enfiler notre tenue de résistance et avancer avec lui.

Oui Vincent s’exprime en langue des signes et pas en français signé, oui il n’oralise pas et la parole vocale ne l’intéresse pas, est-il si difficile de lui permettre de grandir ainsi ?

J’aimerais trouver de l’aide, des voix qui s’élèvent aussi pour faire valoir le droit de Vincent à être un sourd signeur, son droit à ce que sa langue soit totalement respectée et ses droits fondamentaux ne soient pas bafoués !

Des voix qui diraient, NON un sourd n’est pas un sous citoyen, un sous humain, un déficient, un malade, mais un être debout et digne qui a droit au respect !

Des voix qui diraient, OUI un sourd a le droit de ne pas oraliser et cela ne doit pas engendrer une discrimination même si ce sourd n’est qu’un enfant

Et nous dans tout cela ?  Nous vivons à l’orée du monde sourd.

Nous sommes une famille entendante et même si nous sommes une famille signante, nous restons à la lisière de la forêt magique, de ce monde sourd aussi merveilleux et étrange que l’est celui de la forêt légendaire de Brocéliande.

Nous ne sommes pas dedans car nous sommes entendants, nous ne sommes plus dehors car la culture et la langue sourde font parties à 100% de nos vies, plus dehors mais pas dedans …

Cela peut être une position difficile, inconfortable parfois, être juste les satellites d’une étoile !

Mais, à notre petite échelle, comme tous les parents, notre rôle est d’aider notre enfant à s’épanouir, lui rendre le monde accessible pour qu’il façonne son avenir mais cela veut dire aussi savoir s’effacer. Ce n’est pas toujours simple ! Regarder notre petit bonhomme s’ouvrir au monde, cela doit être notre objectif principal, jouer à 100% notre rôle de parents, mais pas plus, et juste se rappeler qu’un enfant n’appartient qu’à lui-même.

 

Nous sommes-nous perdus nous-même ?

Je suis issue d’une famille de profondément liée à la musique. Un père délégué SACEM toute sa vie, je suis « née » dans les locaux de la SACEM à Bordeaux, ou presque, un soir de première de Carmen à l’opéra de Bordeaux ! Devenue pianiste, mon frère percussionniste, ma fille harpiste, mon premier mari trompettiste, la musique a toujours été le lien fort qui a uni et bâtit notre famille. Au-delà des conflits, au-delà des différences, nous partagions cette musique que nous adorions ! Les conservatoires, l’opéra de Bordeaux, l’opéra de Paris, sont les lieux de nos souvenirs forts, ils appartiennent à notre histoire. Mais, pour moi, comme pour mon frère, je pense, la musique n’est pas seulement un plaisir de l’oreille, elle est une vibration intense qui empli notre corps même. Pendant 45 ans, cette musique état mon quotidien, ce qui donnait un sens à ma vie, dans l’écoute comme dans la pratique, une émotion puissante, une vibration absolue qui me nourrissait. Elle était aussi le ciment puissant du lien familial. Tout passe par le son dans ma vie, la mémoire comme le reste. Et vint le dépistage de la surdité de Vincent, comme un coup de tonnerre énorme, le tremblement de terre après lequel tout est à reconstruire ! Mon univers qui était son, qui était vibration, mes larmes à l’écoute d’un prélude de Bach ou au silence qui suit la dernière note de la mort d’Isolde de Wagner ont disparu d’un coup, emportés par ce tsunami qu’a été l’annonce : « votre enfant est sourd profond »

Des jours de larmes amères, puis le choix à faire, lui ou moi ?

« Je continue ?  Je suis musique, je suis son, mais lui est visuel, lumière, soleil ! »

Mon choix, lui.

J’ai quitté la planète musique classique pour entrer entièrement dans celui des sourds. J’y ai découvert un pays extraordinaire, totalement étranger pour moi, à l’opposé même de tout ce que j’avais vécu et ressenti depuis 45 ans !

 Difficile même d’être plus opposé !

J’ai fait le choix d’accepter totalement et sereinement c’est état de fait, Vincent est sourd, et il doit être fier de l’être, d’appartenir à ce peuple sourd.

Dans cette découverte, je m’étais sans doute un peu oubliée, la musique classique avait disparu de mon univers, toute concentrée que j’étais à encourager le visuel pour Vincent, toute occupée à m’imprégner de la culture sourde et à la lui faire découvrir ! Maintenant, 5 ans après, elle est revenue et grâce à une pièce de théâtre en LSF.

Et donc je peux affirmer tranquillement :

Oui mon fils est sourd,

Oui je refuse qu’il soit un ersatz d’entendant,

Non, je n’ai pas besoin qu’il soit la copie conforme de ce que je suis

Il est Sourd, et alors …

Et moi je suis « son », et alors …

Vincent et moi nous ne pouvons partager l’émotion que peut me donner une simple note et je ne peux sans doute pas partager ce qui lui procure des sensations intenses.

Mais le respect et l’amour, cela nous pouvons le partager, et c’est cela qui est vraiment important.

Accepter totalement et entièrement la différence, même si elle est aussi fondamentale, sans renoncer à soi-même.

Résister contre vents et marées pour défendre notre conviction profonde :

Un sourd a droit à sa langue, la LSF, il a droit d'être sourd et doit même être fier d'appartenir au peuple sourd.

 

 

 

Partager cette page
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :