lettre ouverte sur la scolarisation des enfants sourds en Seine-saint-Denis
Nous sommes les parents d’un petit garçon de 3 ans sourd profond, Vincent.
Ce courrier a pour but d’alerter sur la situation de la scolarisation des enfants sourds.
D’après l'OMS, "l'enfant hypo-acousique est celui dont l'acuité auditive est insuffisante pour lui permettre d'apprendre la langue du pays où il vit, de participer aux activités normales de son âge et de suivre avec profit l'enseignement scolaire général". La surdité du jeune enfant est une anomalie fréquente : 1 pour 1000 naissances dans une famille sans antécédent et 15 pour 1000 naissances chez les enfants à haut risque.
Autant dire que sur un département aussi peuplé que la Seine-Saint-Denis, les enfants sourds sont nombreux.
Dans ces enfants il faut distinguer les différents degrés de surdité car ils influent sur les choix éducatifs et l’accès à l’éducation des enfants
Un enfant avec une surdité moyenne, légère et même sévère, aura, la plupart du temps de bon résultats avec une aide prothétique et le bon déroulement de sa scolarité dépendra d’aide ponctuelle, notamment pour l’apprentissage de la lecture qui est, dans notre pays, phonologique.
Les enfants sourds profonds sont dans l’impossibilité d’accéder à la lecture sans programmes adaptés.
Les enfants implantés, à qui ont a implanté un substitut de cochlée, pourront parfois rejoindre la catégorie des enfants de surdité moyenne ou légère, (entre 30 et 40% des cas selon les sources) mais pour les autres l’implants ne leur permet pas d’accéder au langage et même à une audition suffisamment correcte pour suivre normalement l’apprentissage de la lecture. En revanche les implants semblent excellent pour les enfants ou les adultes devenus sourds.
Actuellement il existe en France 4 modes de scolarisation des enfants sourds :
- En intégration avec les enfants entendants dans les écoles de quartier, une orthophoniste intervient parfois pendant le temps scolaire, l’enfant est accompagné d’une AVS qui dans la grande majorité des cas ne connait rien à la surdité ni à la Langue des Signes, ni même au codage LPC pour les enfants qui lisent sur les lèvres et ont besoin d’informations complémentaires données par ce codage du Français. (Le code LPC est un codage manuel des sons de la langue française. Les mouvements codés de la main sont associés à la parole. La main près du visage accompagne, syllabe par syllabe tout ce qui est dit.)
- Des écoles de regroupement, écoles de quartier où sont scolarisés plusieurs enfants sourds qui suivent un programme en Français oral.
- Dans des instituts médicaux spécialisés où les enfants sont en petit groupe, il en existe aucun dans le 93 et 3 principaux à Paris (Paris 5, 15 ou 17, soit au mieux à 1 h de transport matin et soir pour les enfants du 93). Ces centres reçoivent beaucoup d’enfants du 93. Les enfants y sont rééduqués et suivent un programme scolaire assez proche de celui de l’éducation nationale.
- Une école bilingue pour toute l’île de France, Langue des Signes / Français écrit, à Champs sur Marne . . .
La situation des enfants dit en intégration dans le 93 est assez dramatique,
Lors de l’annonce de la surdité vous êtes dirigé sur l’un des trois centres, SSEFIS de Delthil à Saint Denis / CAMSP Espoir 93 à Noisy le Sec ou CRESN à Noisy le Grand, selon le choix des parents.
Pour la scolarité, quatre classes de regroupement existent dans le 93, où interviennent les personnels des centres cités plus haut, les enfants y sont scolarisés dans un projet uniquement oralisant, c'est-à-dire avec des cours normaux, la présence d’orthophonistes et d’une codeuse LPC. Donc rien pour ceux qui ne peuvent pas oraliser et dont la surdité est trop profonde ou l’audition insuffisante pour comprendre le français oral.
Les enfants qui sont dans les classes en intégration ne peuvent bénéficier de la présence des personnels des 3 centres médico-sociaux déjà surchargés par le suivi des enfants en crèche (crèche Hélène Keller de Noisy le Sec), dans les centres et au sein des établissements de regroupement.
Le résultat de cette intégration en tout cas dans les écoles maternelle du 93 :
Des enfants sourds, appareillés ou implantés seuls dans les classe avec des enseignants qui ne connaissent pas du tout la LSF ou le LPC, plus ou moins motivés mais qui s'occupent aussi de 26 ou 27 autres enfants avec au mieux une dame de service et une AVS mais personne pour communiquer avec l'enfant sourd,
Des services spécialisés débordés qui n'interviennent parfois qu'une fois tous les 15 jours dans l'école pour 1h (c’est le cas de Vincent) faute de personnel disponible.
Donc l'enfant va tout les matins à l'école où il est confronté aux longs moments de langage du programme desquels il est exclu, même s'il participe aux autres activités et a un niveau intellectuel largement égal à celui de ses camarades, c'est un apprentissage un peu violent de sa différence où, le mien en tout cas, est en détresse.
On lui propose une pratique de la LSF 1 heure pas semaine dans le centre qui le suit et 3 ou 4 heures d'orthophonie, autant dire que cela le met en échec assez rapidement, et cela représente un gâchis terrifiant.
La première année de maternelle est une année de socialisation, Vincent est actuellement sans aide de langage, sans aide de communication et vit des moments d’exclusion dans sa classe avec ses pairs et donc de désocialisation. Son besoin actuel, comme celui des autres enfants sourds, est la possibilité de communiquer, d’appendre, de comprendre ce qui se passe autour d’eux. L’isolement actuel ne peut procurer que des angoisses et des retards dans les apprentissages et comme je l’ai déjà dit un énorme gâchis.
Pour les plus grands, l’apprentissage de la lecture est extrêmement compliqué sans aucune aide, traductrice, codeuse ou autre.
La maîtresse de notre fils s’était inscrite en juin dernier à un stage de sensibilisation à la surdité, ce stage, annuellement organisé par le rectorat, et également prévu pour tous les enseignants du 93 qui en avaient fait la demande, devait avoir lieu du 7 au 11 décembre. Le rectorat l’a annulé faute de remplaçants pour les enseignants inscrits à ce stage.
Donc les enfants sourds « intégrés » sont seuls avec l’enseignante et les 26 autres élèves de la classe, parfois une AVS est là mais ne peut qu’aider les enfants à mettre et enlever leurs manteaux ou leurs chaussures. Ceux qui entendent mal ou presque pas ne bénéficient d’aucune aide et ne développent aucun mode de communication à l’école qui devient un lieu de jeu où ils doivent juste rester sages pendant les moments de langage ou lorsque la maîtresse lit des histoires.
Or il existe depuis 5 ans une loi sur la scolarisation des enfants handicapés, complétée par des décrets dont le plus récent date d'avril 2009
http://www.education.gouv.fr/cid207/la-scolarisation-des-eleves-handicapes.html
« La loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées renforce les actions en faveur de la scolarisation des élèves handicapés. Elle affirme le droit pour chacun à une scolarisation en milieu ordinaire au plus près de son domicile, à un parcours scolaire continu et adapté. Les parents sont de plus étroitement associés à la décision d'orientation de leur enfant et à la définition de son projet personnalisé de scolarisation (P.P.S.).
Dispositifs de scolarisation
Dès l'âge de 3 ans, si leur famille en fait la demande, les enfants handicapés peuvent être scolarisés à l'école maternelle. Chaque école a vocation à accueillir les enfants relevant de son secteur de recrutement. Pour répondre aux besoins particuliers des élèves handicapés, un projet personnalisé de scolarisation organise la scolarité de l'élève, assorti des mesures d'accompagnement décidées par la Commission des droits et de l'autonomie (C.D.A.). La scolarisation peut être individuelle ou collective, en milieu ordinaire ou en établissement médico-social.
Scolarisation individuelle
Les conditions de la scolarisation individuelle d'un élève handicapé dans une école élémentaire ou dans un établissement scolaire du second degré varient selon la nature et la gravité du handicap.
Selon les situations, la scolarisation peut se dérouler soit :
* sans aucune aide particulière,
* faire l'objet d'aménagements lorsque les besoins de l'élève l'exigent.
Le recours à l'accompagnement par un auxiliaire de vie scolaire et à des matériels pédagogiques adaptés concourent à rendre possible l'accomplissement de la scolarité. »
Nos questions sont simples :
Quand cette loi qui va bientôt avoir 5 ans pourra-t-elle s’appliquer réellement ?
Quand l’Etat donnera-t-il les moyens de ces actions éducatives pour les enfants ?
Quand les services de santé et de l’éducation travailleront ils ensemble réellement dans le sens de l’intérêt des enfants ?
Ces enfants ont besoin avant tout, et très rapidement d’une langue pour communiquer et pour apprendre, la LSF* (langue des signes françaises) ou l'aide du LPC (langue parlée complétée); comme les autres enfants de leur âge ils ont besoin d’apprendre le Français écrit et de développer l'oral selon leurs capacités et à leur rythme.
* D’après le dictionnaire : Une langue est un système de signes linguistiques, vocaux, graphiques ou gestuels, qui permet la communication entre les individus. La langue des signes est donc une vraie langue, riche et vivante. Nous avons fait ce choix pour Vincent qui n’a pas accès à l’oralisation.